Interview de Horia Pop,
réalisateur de "45850"
Pour quelle(s) raison(s) avez-vous choisi d'adapter Le dernier jour d'un condamné à mort de Victor Hugo ?
Tout d'abord, je n'ai pas choisi cette œuvre, elle est venue à moi. Plus précisément, notre directeur de l'école Cinémagis, Mr Dominique Combe, nous a tous surpris, mes camarades et moi, lorsqu'au beau milieu de l'année, en février 2022, il nous a demandé de lire le roman de Victor Hugo, parce qu'à la suite de cela, l'un de nos scénarios adaptés allait servir de scénario prêt à tourner. Et, par voie de conséquence, que l'un de nous allait donc avoir la chance de le tourner. Cela n'était pas prévu au programme.
Je dois avouer que je l'ai très mal pris. En premier, parce que je n'aimais pas la précipitation dans laquelle on nous demandait de faire ces choses sacro-saintes pour un passionné de cinéma comme moi. Je trouvais que cela gâchait en quelque sorte ce formidable cadeau.
La suite m'a montré qu'il peut arriver parfois, que dans une certaine disposition, avec une certaine forme d'urgence, surtout sans trop de temps de réflexion ni de procrastination, certaines œuvres pouvaient naître, et parfois, rarement, de belles œuvres. J'espère de tout cœur que mon court-métrage, 45850, fait partie de ces dernières.
Cette œuvre d'elle-même fait l'objet de critiques et controverses, quel est votre avis ?
J'ai très tôt pris la décision de me détacher autant que possible de l'œuvre du grand Hugo, une fois « ingurgitée. » Parce qu'il ne sert à rien de se mesurer à l'ombre de ce géant. Le contraste rapetisse tous ceux qui s'y sont essayés. Mais aussi, parce qu'il avait ses propres équivoques, les scandales de son époque, ses ennemis, et que j'aurais eu à me confronter à mes propres détracteurs, toutes proportions gardées, à une échelle infiniment plus anonyme – cela va de soi. Mais tout combat est digne, et comme disait Herzog, « même les nains ont commencé petits ! »
A cela vient s'ajouter mon caractère, passionné, persévérant, têtu, rebelle : je voulais raconter mon histoire, mon film. J'avais suffisamment de choses à dire, pour ne pas avoir peur de cela.
Vous avez pris le parti d'une certaine fidélité à l'œuvre initiale justement sur ce qui a fait l'objet de critiques à l'égard d'Hugo, à savoir l'absence d'information sur le personnage, malgré le risque que la votre subisse le même sort, pourquoi ?
Je ne sais pas si j'ai été fidèle à Hugo. Je sais par contre une chose : moins on caractérise un personnage dans un scénario, plus il peut devenir universel et s'adresser à tout le monde. Un des exemples les plus marquants, à cent lieux du condamné à mort dans mon film est... Tintin ! Hergé, dans une de ses interviews, évoque les traits minimalistes de Tintin, et son âge incertain. Son visage est une sorte de masque en latex impersonnifié : il prend la forme de celui qui le met. Regardez comme son visage est proche d'une esquisse. Cela m'avait marqué il y a quelques années. Je ne l'ai jamais oublié.
Dans tous les cas, de manière générale, je n'aime pas caractériser jusqu'à la boursouflure. Je laisse cela aux farces, aux caricatures, que j'aime énormément soit dit en passant. Quelques traits me suffisent. J'aime entretenir le flou. Le flou, c'est le rêve. Les spectateurs peuvent alors y rajouter, chacun selon ses désirs, son vécu, ses obsessions – ce qu'ils veulent. C'est l'avantage de la porte entrouverte sur la dictature de la backstory didactique.
Avez-vous pris la liberté de vous détacher du point de vue d'Hugo, comment ?
Comme j'ai dit précédemment, une fois l'œuvre ingurgitée, j'ai bu à d'autres sources, à savoir les miennes. Le dernier jour d'un condamné à mort a servi de point de départ. La route était encore longue pour moi, pour toute l'équipe du tournage. J'ai eu mes propres bornes à dépasser, mes routes sinueuses à défricher. J'ai ce besoin constant d'aller voir à l'encontre des routes accoutumées.
Pour vous, qui est ce personnage ? Avez-vous inventé, imaginé, son histoire, sa personne, pour réaliser votre œuvre ?
Ce personnage c'est moi, c'est vous, c'est tous ceux qui savent ce que c'est que de s'enfermer vivant, alors que la Vie coule encore dans nos veines. Qu'il soit enfermé physiquement, entre quatre murs bien réels, marque peut-être une frontière plus réelle, tangible, entre lui et nous. Mais alors, pourquoi sommes-nous toujours aussi incapables, il y a cent ans, comme il y a deux mille ans, comme aujourd'hui de vivre sans obsessions, sans cadres, par voie de conséquence, sans prisons ?
Hier comme aujourd'hui, je crois que l'Homme rêve d'une même chose : entrouvrir la porte de sa prison qu'il s'est lui-même créée, qu'il se fabrique chaque jour. Et je ne crois pas partir dans une philosophie de comptoir quand je parle de ça. Nous connaissons tous, absolument tous, des personnes – dans notre famille, dans notre entourage, des inconnus mêmes, qui nous abordent dans la rue – qui sont enfermés à l'intérieur d'eux-mêmes.
Brel, le grand Jacques, n'a cessé, encore et encore, de parler de ces gens-là, parce qu'il avait mal aux autres. Et qu'il voulait les secouer à sa manière, c'est-à-dire avec une fièvre d'amour qui l'a conduit à mourir très tôt. À ma manière, avec mes moyens, j'ai tenté de parler de nous, de nos prisons. Le personnage était un prétexte pour parler de quelque chose qui m'obsède depuis l'enfance. L'enfermement psychique et/ou physique. La dépression, ce suicide lent moderne, est extraordinairement actuel. Brel disait : « Le plus important pour un gars qui voudrait partir de, mettons, Vilvoorde pour aller à Hong Kong, c'est pas d'aller à Hong Kong, c'est de partir de Vilvoorde. » Tout est là, vous comprenez ? Tout est là.
Un de mes livres préférés s'intitule justement « Mes Départs ». Il est de Panaït Istrati. Un grand écrivain roumain, vagabond littéraire. A la fin du film, Ivan, le personnage, fait aussi un départ. Et on ne sait pas à quel point il s'agit de sa décision ou de l'arbitraire machine carcérale. Un mot qui n'apparaît plus dans mon film (mais qui faisait partie des dialogues entre Anna et Ivan) est le mot capital de « choix ». Nous avons toujours le choix. Toujours.
Pour m'aider à entrer dans la cellule d'un condamné, j'ai aussi vu et écouté pendant des jours et des jours, les interviews de Charles Manson. Il avait passé plus de temps en prison qu'en liberté. Il était le monstre parfait. Dans mon acception, monstre veut dire celui qu'on montre, car l'étymologie de monstre, vient de là. Je ne le juge pas. Ni lui, ni aucun prisonnier connu ou célèbre. J'ai une sainte horreur des Juges.
J'avais besoin de m'appuyer sur un tel condamné. Pour savoir jusqu'où l'obscurité pouvait
entrer en lui. Ses mots m'ont énormément influencé dans mon approche du film. Sans lui, je n'aurais
pas fait le choix de l'immobilité de la caméra, ni d'Ivan quasiment toujours statique. Assis ou
allongé. Au début, j'avais même choisi de mettre une de ses phrases, en exergue, en début de film :
« I know what spiders are thinking ». Puis, après une première projection, je l'ai enlevé. Quoi qu'il
en soit, je lui dois le silence, l'obscurité et le ton d'Ivan dans le film.
Pourriez-vous nous parler de vos choix de cadrage et de lumière ?
J'aime l'ascétisme en art. Peut-être parce que j'étais prédestiné à être prêtre. Il me faut du minimalisme en décors, objets, paroles, musiques, sons. Alors pour moi, à titre personnel, cette cellule ne m'était pas très étrangère dans le fond ! Bon j'exagère un peu, mais disons que ce choix de ne pas devenir prêtre-moine, me poursuit depuis l'enfance. Comme Scorsese qui ne cesse d'y revenir dans ses films, j'ai fait aussi le choix du Cinéma au lieu de la prêtrise, à presque... 40 ans. Mais combien de chemins ! Combien de carrefours ! Combien de détours ! Dieu seul sait.
Pour revenir au cadrage, Carl T. Dreyer et Robert Bresson me viennent tout de suite à l'esprit. Ma pente naturelle, c'est l'abstraction – que j'ai pourtant rejeté avec vigueur et ostentation pendant une décennie ! Je n'aime pas le fouillis, ni le trop plein dans le cadre, et j'ai une sainte horreur du mauvais cadre, le cadre hasardeux. Je considère le cadre comme l'une des trois trinités en Cinéma : le sujet, le cadre, la lumière.
Le cadre me permet de hacher menu tout ce qui m'est inutile pour raconter mon histoire. Ou encore, pour montrer quel est l'état d'esprit du personnage qui vit cette histoire. Voilà pourquoi il y a une sensation de couperet, de cadre-tueur dans 45850. Il est agressif, il met mal à l'aise. On y étouffe, on s'y fait couper la tête – littéralement !
Les deux gardiens ainsi qu'Anna sont coupés à la tête. Alors qu'ils continuent de parler ! Je vous dis pas la tête, cette fois-ci bien sur leurs épaules, des comédiens quand ils se sont vus à la projection. Presque tout leur dialogue avait été coupé et leur tête avec ! Sans compter la semi obscurité, pour ne pas dire, la pleine obscurité dans laquelle ils se mouvaient, eux, des comédiens qui sont nés pour chercher la lumière. Je dois dire qu'ils ont été sincèrement formidables de patience, d'intelligence du cœur et de compréhension : bon, en même temps, ils devaient sentir qu'ils étaient tombés sur un cas spécial !
Plaisanterie à part, j'adore choisir mon cadre et je le fais presque toujours de manière spontanée, intuitive, impulsive. C'est toujours un acte rapide, comme le couperet qui tombe. Comme la hache du bourreau, je tranche. Car c'est ça, le cadre, pour moi : tout ce qui est en dehors a été retranché. Dans le noir, l'inconscient, la mort. Et je dois dire que pour le plus grand malheur du chef opérateur – je suis intransigeant et souvent dictatorial et laisse très peu de marge quant à ce choix déterminant.
Pour la lumière il y a deux aspects : à l'intérieur de la cellule, je voulais que la lumière soit peu intense, et à l'extérieur, à chaque fois que la porte s'entrouvrait, qu'elle soit très forte, irréelle, fantasmée. Sans fenêtre – la cellule reste dans une lumière de nature quasi constante par conséquent – comme l'état d'esprit du condamné.
La cellule n'est pas éclairée dans son entièreté. Il reste des coins sombres : ces interstices sont les méandres, les limbes du condamné. Personne ne connaît personne entièrement, car l'Homme reste un mystère. Ceci a été ma philosophie essentielle pour ce film aussi.
Un mot sur le cierge, qui sert de rythme intérieur au cœur d'Ivan. Elle symbolise la foi. La
seule véritable lumière intérieure. A l'annonce de l'arrivée d'une inconnue, le cierge se relève,
l'espoir du prisonnier s'agrandit en même temps que sa fébrilité car l'heure de la délivrance
approche. La lumière du cierge illumine la cellule de sa couleur orangée, et son crépitement est
comme le feu d'artifice d'un homme en proie aux râles depuis 30 ans. Jusqu'à ce qu'Anna ne vient
mettre un terme à sa peine.
Le jeu de l'actrice qui vient annoncer la mort est particulièrement surprenant et déroutant,
et contraste fortement avec l'attitude du condamné, la représentation classique de la Faucheuse
annonçant la mort, comment l'avez-vous pensez ?
L'actrice, Stessie Santoru, vient de Marseille. Un choix rapide, instinctif. Nous avons fait passer une audition à mon initiative, accompagné de deux camarades assistantes réalisatrices.
C'est sa voix, sa démarche, son physique, son étrangeté inquiétante, pour paraphraser, qui m'ont attirés vers elle, pour ce rôle spécifique. Pourtant, en salle de montage, j'ai fait le choix radical de supprimer tout le champ sur elle. Dans le dialogue qui s'installe entre le prisonnier et elle, on ne voit que le prisonnier. La caméra reste obstinément derrière Anna, la Faucheuse comme vous l'appelez, mais qui, pour ma part, reste un être mystérieux qui délivre – mort ou liberté – le condamné à mort.
Sa voix douce ajoutée à ses quasi-murmures, voilà un des choix déterminants du film. Le
spectateur marche sur des œufs, il se tient éveillé. Il fallait à tout prix qu'il n'y ait pas de cris, de
larmes de crocodile, mais aussi éviter d'avoir une voix administrative, robotique. La Faucheuse ou
la grande Libératrice devait venir comme un souffle léger, une brise printanière. Regardez bien
comment Anna entre dans la cellule. Il y a comme un effet de ralenti sans trucage technique en post
prod. Seulement par sa démarche et tout le travail en amont sur le son (ou l'absence de son ou de
musique surimposée pour être exact). Tout cela prépare le spectateur à sa venue étrange. Cela est
fluide, et vient s'opposer au cadre couperet que j'ai peut-être surexploité dans 45850.
Comment avez-vous choisi les deux premiers plans, et notamment la transition sonore
"brutale"?
J'expose le décor lugubre du condamné à mort avec un très lent panorama horizontal de droite à gauche. Enfin, après un cut, qui fonctionne comme une guillotine, je le montre en plongée. Pourquoi ce choix ? Parce que l'exposition est un passage obligé, un classicisme qui est aussi une preuve de respect pour la tradition et qui se justifie ici : où sommes-nous ? Qui est-il ? On répond à ces deux questions dès le début – et je l'espère – de manière fluide.
Il faut noter l'absence quasi totale de lumière et de son dans les premières secondes du film. Des secondes qui paraissent interminables pour un spectateur moderne, habitué au bruit et à la fureur des images épileptiques. Un avènement que Kierkegaard déjà avait prédit, lorsqu'il parle de l'époque à venir, comme une « époque épileptique. » On en prend plus le temps de découvrir. On passe d'une image à l'autre, d'un son à l'autre, si rapidement. Pour notre malheur à tous. J'aime cette phrase de St Exupéry : « La vérité se creuse comme un puits ». Il faut du temps pour tout. En Cinéma aussi.
Pour ma part, je pense qu'il fallait toute l'humilité possible pour que nous osions – moi
comme vous ou n'importe quel spectateur – pénétrer dans une cellule de condamné à mort. J'ai pris
le contre pied de ce qui se fait habituellement dans une salle de cinéma, lorsque le film
commence et que les lumières s'éteignent : j'ai laissé le spectateur dans le noir et le silence total au
lieu d'illuminer tout de suite la toile et d'allumer les enceintes. Pourquoi ? Pour que nous entrions la
tête baissée et les oreilles aux aguets dans sa cellule. C'est nous qui allons à lui, et non le contraire.
C'est notre œil et nos oreilles qui devaient s'habituer à son enfer.
Pourquoi avez-vous choisi d'intégrer les cris, le brouhaha d'une cour de récréation, pour
seul "récit de vie" ?
Le choix radical d'opposer l'image au son, m'est venu après le tournage. Au départ, nous avions élaboré des sons d'ambiance classiques, qui étaient censés représenter la vie en prison : cris, hurlements, injures, cliquetis des clés, portes qui claquent, etc. Mais en cours de montage, déjà, je sentais que quelque chose n'allait pas. Oui, il est en prison, oui, ces sons auraient été logiques. Mais cette logique-là, pour ce film, ne m'intéressait pas. Parce qu'elle ne répondait pas à son obsession à lui, à ses remords, à son paradis perdu. Cette prison-là, il s'en fout lui ! C'est ça aussi que le film raconte. Sa véritable prison, c'est le poids du remords, cette dent qui ronge, comme l'écrivait Baudelaire. Alors, j'ai cherché la seule chose qui pouvait le tourmenter encore et encore et lui rappeler comme il était désormais « loin des verts paradis des amours enfantines ». Et il se trouve que j'habitais à cette époque près d'une école primaire. Les cris joyeux des enfants qui venaient se cogner aux murs de mon appartement sont alors naturellement venus se cogner aux murs de la cellule d'Ivan. Comme un passage de témoin, une révélation, une évidence.
Avait-il tué un ou des enfants ? Le regrettait-il ? Pensait-il à ses enfants ? Pleurait-il de rage
son enfance perdue et vécue en prison depuis trente ans ? Autant de questions qui fonctionnaient
comme un brouillard épais, parfait pour un mystère. Déjà, à peine quelques secondes après les
certitudes de l'exposition, le spectateur doutait et perdait de son confort. Les spectateurs croyaient
s'attendre à un fauteuil douillet, et voilà que le cri soudain, stridant, des enfants joyeux le faisait
sursauter, telle une chaise électrique : pour un réalisateur, c'est un moment jouissif.
À la fin, nous ne savons pas exactement où va le personnage, ce qu'il advient. Pourquoi cette
fin ? Pourriez-vous nous parler de ce plan de fin ?
J'aime les fins ouvertes au cinéma, car elles frustrent le spectateur. Elles le tiennent en éveil– l'obligent à intervenir, à participer au film, à s'énerver, à en parler une fois dans la rue. J'aime particulièrement aussi les films où la fatalité plane au-dessus comme un couvercle. C'est une attitude très naturelle pour l'homme de l'Est que je suis. Car bien qu'éduqué en France, mes racines et mon sang viennent de ce magnifique pays latin, le seul de l'Europe de l'Est : la Roumanie. En cela, je suis une longue tradition de pessimistes notoires : Emil Cioran, Eugène Ionesco, Mihai Eminescu, pour ne citer que les plus illustres de mes compatriotes.
Ce plan de fin est sans nul doute ce qui a le plus marqué les spectateurs que j'ai pu rencontrer à l'issue des projections auxquelles j'ai pris part. Sa durée a choqué, interpellé, et suscité tout d'abord, en amont, un véritable bras de fer avec le monteur de l'école – que j'avais pourtant eu le privilège de choisir moi-même.
Pour ma part, c'était une évidence. Rien, absolument rien ne devait venir perturber la montée des marches d'un condamné à mort. Ni des sons d'ambiance, ni des coupes à l'intérieur du plan, ni de la musique, ni des effets spéciaux, ni des mouvements de caméra : il ne devait y avoir que le geste réduit dans son essence même : un homme monte des marches vers une porte proche du ciel. À la fin, il se retourne et nous regarde. Puis il y a un cut. Et c'est tout.
Le spectateur, pendant cette montée, était obligé de se demander ce qui allait se passer. Personne ne pouvait s'attendre à ce qu'il monte simplement des marches ! Et après ? Il va où ? Ils vont l'exécuter, c'est bien ça ? Ou bien ils vont le libérer ? Autant de questions ouvertes pour le spectateur, obligé d'être impliqué.
Aux trois projections auxquelles j'ai pu assister et présenter mon film, il y a toujours eu un
long silence qui a suivi la fin du film. C'est pour ma part, après tant de combats intérieurs et
extérieurs (et qui est le lot de tous les réalisateurs) – une de mes secrètes satisfactions. Je ne l'ai pas
fait pour faire un effet, car les effets, les coups au Cinéma, ne durent pas dans le temps. Et je m'en
méfie. Non, je voulais juste regarder le spectateur en face, comme le condamné à mort à la toute
dernière image. Et si possible, si ce miracle avait lieu, que le spectateur ressente quelque chose, une
émotion, toute émotion m'était valable – tout sauf l'Ennui. Je ne demandais rien de plus.